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Les Grecs bottent les fesses des Importants (et de M. Bretonnier)

Cher Monsieur Bretonnier,

La lecture de votre chronique sur la situation grecque dans la Voix du 5 juillet m’a, je dois le dire, stupéfait. Votre papier est si obscurci des facilités et raccourcis que vous autorise son format, et si truffé de pensées de comptoir, que je ressens le vif besoin d’y répondre pour essayer d’y rétablir quelques vérités.

Avec tout l’humilité qui caractérise chacun de vos écrits, vous vous permettez d’emblée de rabaisser Alexis Tsipras qui « n’aurait pas pris la mesure de son pouvoir ». Dans le fond, la vie est simple pour vous M. Bretonnier : vous pensez qu’un dirigeant doit « appuyer sur un bouton pour obtenir un résultat », et le tour est joué. Beau fantasme  cybernétique propre à déshumaniser ce qui se joue en réalité : les Grecs sont aujourd’hui humiliés, malmenés et désorientés par la politique sadique qui leur a été infligée depuis six ans et qui a aggravé sous tous points de vue leur situation économique, sociale et environnementale.

Dès le chapeau de la chronique, votre morgue éclate dans cette formule fielleuse : « Ces dirigeants atypiques devaient sauver la Grèce et l’Europe ». Qui a eu cette prétention ? La victoire de Syriza a été alors – à juste titre – saluée comme un tournant face aux politiques d’austérité. Qu’il est tentant de prêter aux autres des idées qu’ils n’ont pas exprimées pour mieux les dénoncer. C’est sans doute ce qui met un peu de sel dans la vie morose du commentateur politique enrégimenté.

Bien sûr, il était primordial pour vous de rééditer cet amalgame qui vous obsède tant, entre Jean-Luc Mélenchon et Marine le Pen, au prétexte que cette dernière avait salué bruyamment la victoire de Syriza. Peu importe la crédibilité et la sincérité de ce soudain ravissement du côté de l’extrême-droite, peu importe que les soutiens à Syriza dans nos rues soient exclusivement du côté de la gauche de combat, peu importe que Syriza n’ait jamais sollicité ce soutien, et au contraire ait marqué maintes fois sa proximité avec le Front de Gauche, du moment que des gens comme vous, aussi peu regardant sur la véracité des faits continuent de donner corps à cette chimère. Oui M. Bretonnier, vous rendez bien service à Mme Le Pen en répétant comme un perroquet qu’elle a salué la victoire de Syriza, sans le moindre doute sur le caractère tactique et intéressé de ce positionnement. Mais voilà… Il vous est si bon de pouvoir mentionner le nom de Jean-Luc Mélenchon dans une proximité infâme avec celui de Marine Le Pen. Comment y résister, quitte à tordre toute vraisemblance. Et s’il n’y avait que cela…

A vous lire, on croirait que la situation pré-Syriza était enviable, et que c’est l’arrivée de la coalition au pouvoir qui a précipité la Grèce dans la crise. Peut-être vos rédacteurs de fiches vous ont-ils trop rapidement résumé la situation antérieure ? Même les commentateurs les plus défavorables à Syriza admettent volontiers que la situation dont a hérité en janvier 2015 la nouvelle majorité était désastreuse, du fait des « plans d’aide » précédents qui ont fait exploser la dette et assommé la société grecque.

Et vous osez même écrire d’Alexis Tsipras : « Il ne lui est même pas venu à l’esprit de réformer son pays » ! Mais c’est vrai, qu’a-t-il fichu pendant six mois celui-là, alors que vous œuvrez si puissamment au bien-être de la société ?

A vous lire M. Bretonnier, nous vient à l’esprit que vous avez décidemment raté votre vocation. Au lieu d’un commentateur politique ressassant ses obsessions depuis des lustres, vous auriez gagné à être vous-même élu et aux responsabilités, si possible en Grèce. En effet, comment Alexis Tsipras a-t-il pu rater ce que vous auriez fait tellement mieux que lui ? « Faire rentrer l’impôt (notamment taxer l’église orthodoxe et les armateurs) » (une formalité pour vous M. Bretonnier), « Ne pas affaiblir l’administration mais la réformer » (comme une lettre à la Poste, vous dis-je !), « s’attaquer au mal profond de l’économie grecque, son manque de compétitivité ». C’est sur ce point que j’ai le plus de regret que votre ample pensée n’ait pu se déployer avec les solutions que vous auriez appliquées. Après des années de purge de l’Etat grec, de diminution des salaires de fonctionnaires (forcément improductifs), de coupe dans les retraites et les services sociaux, après six années à appliquer servilement les recommandations du FMI (qui depuis s’est ravisé semble-t-il), de la BCE et de la Commission européenne, comment expliquez-vous que le pays, loin de se redresser, ait vu sa situation se dégrader en tous points de vue ? Vivement votre prochaine chronique pour le savoir !

Vous êtes-vous posé la seule question qui vaille finalement à propos de la Grèce ? À quoi ces efforts surhumains peuvent-ils bien servir ? Voilà une société dévastée (-25% de pouvoir d’achat en six ans), à laquelle on veut encore faire rendre gorge (en pressurant les retraites, en augmentant la TVA) alors que personne, vous le savez bien, personne ne croit qu’une telle dette soit remboursable, parce qu’elle est proprement insoutenable. Pourquoi ne pas enfin dire la vérité sur le sujet, en tirer les conséquences et appliquer à la petite Grèce les mesures de clémence dont a bénéficié la grande Allemagne défaite en 1953 ? Pourquoi ne pas reconnaître enfin le caractère largement illégitime de la dette grecque, comme l’a montré le dernier rapport du Comité pour l’annulation de dette du tiers-monde (CADTM) ?

Sachez que je comprends votre effroi, à la seule idée que de Grèce vienne le signal de la révolte contre les sachants dans votre genre, exécutants (ou devrais-je dire « exécuteurs » ?) plus ou moins froids des politiques inhumaines à finalité financière. Demander aux citoyens leur avis, quelle idée ! Que deviendraient les Bretonnier de tous poils si tout à coup, le peuple reprenait la parole et disait « non » aux politiques d’austérité dictées sans la moindre considération du bien-être des braves gens ? Si les gouvernements que vous citez à comparaître (slovaque, espagnol) étaient tout à trac mis à nu dans leur réalité sordide : partout on entrave le développement de l’Etat social-écologique au profit de raisonnements de court terme et à l’avantage d’une minorité. Ce sont les 1% qui drainent la richesse produite par les 99% et diffusent un mode de vie suicidaire pour le genre humain et son environnement. Les politiques d’austérité menées dans tous les États européens sont grossièrement contre l’intérêt général. Mais quelqu’un vous a-t-il dit M. Bretonnier que l’urgence sociale et climatique ne s’accommode pas de la financiarisation de la vie ? Quelqu’un va-t-il vous réveiller doucement pour vous dire que vous raisonnez comme un banquier aigri du XIXème siècle, pas comme un citoyen responsable du XXIème siècle ?

A l’heure où j’écris, le « non » des Grecs a retenti largement. Je me réchauffe de ce succès qui rappelle la grande victoire de 2005. A dix ans d’intervalle, je revis le bonheur d’un « oui » à une autre Europe, contre les marchés financiers, pour la solidarité et le droit au bonheur. Goûtons ce moment où le peuple se lève pour faire la nique aux petits marquis poudrés et en gants blancs. A rebours de vos assertions, Alexis Tsipras s'est montré par ce référendum un vrai homme d'Etat qui a rassemblé plus de 60% de son peuple pour un mandat politique clair.

Finissons sur votre chronique dont le naufrage est consommé ce soir. En plus du mépris de caste dont vous êtes coutumier, elle sent les certitudes paresseuses et repues,  recopiées de la presse bien-pensante, celle qui est toujours du côté du manche. Tout ce que les Grecs demandent M. Bretonnier, c’est le respect de leur dignité. Quant à cette dernière, rassurez-vous, ils ne vous en demanderont point : pour d’autres raisons que les leurs, ils savent que vous en êtes nécessiteux.

Débat d’orientation budgétaire 2015 : soutenons l’investissement !

Bénédicte DUBART "Aguavidad"Le 18 décembre, le conseil régional Nord-Pas-de-Calais organisait son "débat d'orientation budgétaire" (DOB) pour 2015, débat sans vote et étape obligatoire avant le débat budgétaire proprement dit dans un mois. J'y ai exposé la position de mon groupe, attentif au soutien aux investissements de la région pour faire front à l'austérité.

 

 

Monsieur le Président, Monsieur le Vice-président, chers collègues,

Je remercie Monsieur le Vice-président de son exposé de la situation, pédagogique comme chaque année, très clair et objectif. Nous connaissons déjà bien les paramètres du débat : une situation économique déprimée, dans laquelle les entreprises et les états européens sont enlisés, situation dont le plus frappant est sans doute aujourd’hui l’absence de perspectives.
Nous sommes entrés dans une spirale dépressive, entretenue par une politique économique contracyclique. Les États en Europe ont décidé que le premier problème à régler était celui de la dette publique, avec pour effet de contracter la commande publique et de barrer l’horizon économique.
Il y a d’ailleurs un comble dans le fait qu’en France, l’État s’est endetté, mais fait porter l’effort de désendettement en priorité sur les collectivités locales dont les comptes sont globalement sains.
Par ailleurs, la légitimité de cette dette publique est en partie discutable, car elle résulte de choix favorables aux grandes entreprises, aux multinationales et aux contribuables les plus riches.

L’État a donc cessé d’investir, laissant les collectivités locales le faire, et maintenant, c’est ce dernier moteur que l’on éteint. Les entreprises elles-mêmes consacrent leurs liquidités, quand elles en ont, non à l’investissement, mais au désendettement, soit une stratégie de rentier, au détriment complet de l’activité et de l’avenir.
Dans ce contexte, la dépense publique, en particulier l’investissement, est un soutien indispensable à l’activité économique. C’est clair lorsque nous soutenons la rénovation urbaine ou entreprenons des travaux d’équipement, c’est clair aussi, par exemple, lorsque nous achetons du matériel ferroviaire. À cet égard, entendrons-nous l’appel de notre industrie ferroviaire en grand danger faute de commandes publiques ? La question n’est, bien sûr, pas posée seulement à notre institution.

Le Conseil régional est à la fois un acteur économique capable de vision de long terme, nous l’avons montré, et un soutien immédiat à l’activité locale au travers de nombreuses politiques publiques d’aménagement, d’éducation, de formation, de transport, etc. Vous l’avez rappelé, depuis la disparition de la taxe professionnelle, les ressources du Conseil régional sont presque totalement dépendantes de décisions prises ailleurs. Notre autonomie est donc très théorique. Par ailleurs, les dépenses sont fortement conditionnées par des compétences obligatoires et bien souvent par notre souci de pallier les manquements de l’État.
Dans le moment que nous vivons, il est essentiel que nous ne cédions rien sur l’investissement, que les projets régionaux soient soutenus et que notre collectivité continue de jouer un rôle de mise en cohérence des dispositifs de développement. Il y a tant à faire dans une région qui s’essaye à la transition sociale et écologique. Elle ne se fera pas sans une participation publique déterminante.

Notre groupe note avec intérêt le cap que vous indiquez, à savoir une stabilité des moyens de fonctionnement, alors que l’an dernier, une décélération était programmée, et la continuité de l’effort d’investissement.
Nous notons avec encore plus d’intérêt, sans jeu de mots, que la dette de notre Conseil régional est maîtrisée, avec une durée de remboursement moyenne d’environ sept ans, ce qui, pour nous, signifie que nous avons les moyens de prendre le relais d’un État défaillant, à la hauteur, par exemple, des 32 millions d’euros de manque à gagner sur la DGF 2015. Notre capacité d’endettement nous y autorise et les taux auxquels nous pouvons emprunter nous y incitent.
Vous avez appelé, Monsieur le Vice-président, à la responsabilité et au pragmatisme. Pour notre groupe, la responsabilité et le pragmatisme se résument au soutien à l’économie locale pour éviter la casse de l’outil.

Nous ne sommes pas les seuls à pâtir de la politique de désendettement choisie par le gouvernement, mais nous ne réagissons que faiblement. Permettez-moi de faire référence à deux importantes municipalités, Paris et Grenoble, dont les maires ont pris des positions claires et courageuses contre les politiques d’austérité. À Paris, la majorité, pourtant de la même couleur politique qu’en Nord – Pas de Calais, a adopté un programme d’investissement record pour « accélérer la dépense publique et créer ou maintenir 200 000 emplois directs et indirects ». À Grenoble, le maire Éric PIOLLE et sa majorité lancent un appel contre "l’austérité imposée" et critiquent « l’impact récessioniste très fort » de cette politique. Des appels de ce genre se multiplient, très souvent organisés autour des communes qui, il faut l’avoir en tête, ont gardé des capacités fiscales dont nous sommes démunis. Et nous, quel message enverrons-nous ?

Monsieur le Président, Monsieur le Vice-président, nous savons aussi combien ce débat d’orientations budgétaires est historique, car, vous l’avez noté, c’est le dernier pour notre institution. Nous pouvons avoir le coeur lourd de voir le compte à rebours commencer aujourd’hui vers une fusion de régions que presque personne n’a désirée. Cathy APOURCEAU-POLY a pu dire tout à l’heure à juste titre que nous l’avons découverte il y a peu de temps. Fusion qui n’a jamais été approuvée par le vote des citoyens, drôle de décentralisation qui considère les collectivités territoriales comme des mineures sous tutelle permanente.

Oui, nous sommes bien à la fin d’un cycle, nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous parlerons enfin des futures compétences et des moyens alloués aux grandes régions fusionnées.

Merci de votre attention.

 

Photo de l'oeuvre de Mme Bénédicte DUBART "Aguavidad", exposée il y a deux ans dans le hall du conseil régional.