Lors de la séance plénière du 21 novembre 2013, le conseil régional a débattu du rapport rendu par Jeremy Rifkin à l’issue de la mission qui lui a été confiée par la Région et par la Chambre régionale de commerce et d’industrie sur la Troisième révolution industrielle. Voici ma contribution.
Monsieur le Président, cher Jean-François CARON, chers collègues, la troisième révolution industrielle en Nord – Pas de Calais est une perspective exaltante, mobilisatrice, déterminée.
Elle pourrait n’être qu’une simple mise en valeur de ce qui existe déjà dans la région, ce qui ne serait pas négligeable en soi, mais nous croyons qu’elle peut apporter à la fois une visibilité, une cohérence et une synergie collective dont nous avons besoin.
La troisième révolution industrielle a en particulier le pouvoir de faire rêver à partir de chiffres magiques et je pense en particulier à l’objectif de diminution de 60 % de l’énergie consommée au niveau régional d’ici à 2050, qui est proprement fascinant. D’ailleurs, il faudra expliquer comment cet objectif peut être atteint.
J’ouvre une petite parenthèse. Parmi les chiffres magiques, il y a aussi 2050 en lui-même. Pour une Assemblée qui est élue tous les six ans, ce n’est pas un mince défi que de se donner des objectifs à si long terme. Par parenthèses, j’ai fait le calcul qu’en 2050, je serai lesté de 77 printemps. Je ne doute pas que de réformes progressistes des retraites en réformes progressistes des retraites, je serai maintenu au boulot et j’espère que la région et la planète verront des résultats avant ce terme. Je ferme la parenthèse.
Cependant, plusieurs questions demeurent. Je redeviens un peu plus sérieux. Première question, les moyens financiers d’atteindre nos buts sont-ils vraiment mobilisés et mobilisables ? Le projet prévoit des investissements qui sont qualifiés d’autofinancés et je cite : « La stratégie financière globale consiste à combiner autant que possible les financements publics et privés ». Certes, mais ceux qui investissent sont-ils les mêmes que ceux à qui bénéficiera l’investissement ? Il faut veiller à ce que ce secteur d’intérêt général ne devienne pas une nouvelle rente de situations pour de nouvelles féodalités privées, ce qui serait contradictoire avec l’objectif d’une réduction des coûts finaux pour l’usager, celui qui va effectivement payer la facture au quotidien. Nous ne connaissons pas d’entreprise privée prête à investir pour la décroissance de son chiffre d’affaires. Seul un service public le peut. Il appartient donc au secteur public, me semble-t-il, d’investir massivement dans ce projet. A cet égard, je me demande si le budget 2014 du Conseil régional sera au rendez-vous pour accompagner la démarche. Voilà pour la première question.
Deuxième question, nous avons une réserve importante sur le pilier 4 qui prévoit la mise en place d’un réseau dit intelligent, composé de compteurs de type Linky. Ces compteurs posent déjà un premier problème. aujourd’hui ils sont facturés au prix fort aux consommateurs. Deuxième problème, à vrai dire, ces compteurs sont tellement intelligents qu’ils constituent potentiellement un réseau de mouchards sur l’activité de tout un chacun à domicile, une nouvelle manière d’attenter à l’intimité des citoyens. Ce danger existe et nous devons avoir des réponses fermes sur ce point. J’ai écrit mon intervention avant que Pierre DE SAINTIGNON aborde la question des big data mais c’est une question fondamentale de sécurité individuelle et de sécurité collective que de savoir comment on collecte ces données et ce que l’on en fait. Qu’elles ne deviennent pas
un danger contre les libertés individuelles.
Troisième question, le projet s’appuie sur la notion séduisante d’économie circulaire qui demande à être explicitée dans ses applications concrètes. En effet, il est illusoire de prétendre répondre à la raréfaction des matières premières uniquement par un cycle infini de réutilisation. Réutilisation qui, elle-même, nécessite d’ailleurs beaucoup d’énergie. Le document public parle ainsi de cercles fermés quasi-parfaits. Tout est dans le « quasi ». Pour le dire simplement, il y a forcément de la perte en ligne. Combien ? Quelles sont les limites ? L’économie circulaire doit être explorée mais aujourd’hui, en l’état, elle ne permet que de retarder l’échéance de l’épuisement des ressources.
En conclusion, je voulais dire que c’est à une nouvelle aventure humaine que nous invite la réflexion sur le masterplan. Humaine car nous ne parlons pas ici que d’énergie. Nous parlons de culture, nous parlons de civilisation, nous cherchons les voies d’un nouvel art de vivre, à la fois sobre, intégré dans notre environnement et qui mette fin, enfin, à la précarité énergétique qui est l’une des grandes fractures de notre société.
Post scriptum : Après coup, je trouve cette intervention mal calibrée. Elle commence d’une manière trop positive alors que son contenu est beaucoup plus mesuré. Un élu travaille en temps limité, il arrive que les bonnes informations lui arrivent un peu tard. Ainsi, sur la Troisième révolution industrielle, on peut lire avec profit le blog de Jean Gadrey, qui a consacré trois billets très intéressants au sujet.