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L’injure à la gauche

Avant même de pouvoir composer une analyse des élections municipales, nous voilà confrontés à la démission de Jean-Marc Ayrault et à la nomination de Manuel Valls à Matignon. Cet acte politique est un défi lancé à la vraie gauche en France, d’où cette note inhabituellement longue.

Alors que les électeurs de gauche ont boudé les élections municipales des 23 et 30 mars en protestation de la politique austéritaire menée par la majorité, François Hollande appelle à Matignon le plus droitier des membres du parti « socialiste ». Bêtise ? Incompréhension ? Cette décision s’explique par le système de pouvoir en place.

Qu’a donc pour lui Manuel Valls qui en fasse aujourd’hui un recours pour François Hollande ? Simplement sa cote de popularité. Depuis que le P « S » est entré en 2006 dans le système des primaires pour désigner son candidat à la présidentielle, il a perdu tout autonomie intellectuelle face aux sondages qui lui tiennent lieu de boussole. Peu importe le projet politique, place aux « impressions », aux « signes » adressés à l’électorat, aux nuances infinies commentées sans fin pour distinguer Machin d’Untel. À partir de là, le P « S » prend ses décisions suivant la logique d’opinion[1]. Le meilleur candidat est celui des sondages.

Cette logique est renforcée par l’évolution du P « S » et son développement continu sur le plan local lorsque la droite gouvernait le pays. Les victoires aux élections locales des années 2004 à 2011, couronnées par la prise du Sénat, ont hypertrophié le nombre d’emplois politiques liés aux élus. «Lundi, il y a entre 500 et 2 000 mecs à nous au chômage» dit un cadre de la rue de Solferino dimanche soir. La pression à la base du Parti « socialiste » n’est pas celle des militants, depuis longtemps évacués des processus de décision, mais celle des cadres intermédiaires qui vivent autour des élus ainsi que des élus eux-mêmes, qui ont la frousse des prochaines élections régionales et cantonales de 2015. De ceux-là monte un appel au sauveur, à l’homme de recours qui saura sinon retourner la situation au moins limiter la casse. Peu importe que ce sauveur soit à « la gauche » ou à « la droite » du P « S », peu importe son passé ou son présent, pourvu qu’il soit haut dans les sondages.

Pour le pouvoir, Manuel Valls est l’homme qu’il faut là où il faut. Puisqu’il faut que tout change pour que rien ne change, Valls continuera la politique budgétaire dictée à Bruxelles tout en amusant le tapis avec des gesticulations sécuritaires[2] comme son fameux prédécesseur N. Sarkozy. Ainsi que le rappelle François Delapierre, c’est l’homme qui souhaite la disparition de l’impôt de solidarité sur la fortune, qui est favorable aux OGM et à l’alliance avec le Modem, et à l’abandon de l’appellation « socialiste » car le mot « renvoie à des conceptions du XIXème siècle ». C’est aussi celui qui stigmatise les Roms en laissant entendre qu’ils n’ont pas vocation à s’intégrer en France ou veut défaire les 35h. On en passe et de meilleures. C’est donc cet homme-là qui est censé incarner le changement de cap.

De changement de cap, il n’y aura point. Valls a participé depuis 2012 au gouvernement Ayrault, sans ciller devant les sacrifices infligés aux Français et devant la purge qui se prépare secrètement pour satisfaire les marchés financiers (50 milliards € doivent être retirés des dépenses publiques pour appliquer le Pacte de responsabilité). Alors comment fera-t-il ?

J’avoue que je n’y aurais pas pensé sans avoir lu dans le Canard enchaîné du 26 mars un article intitulé « Vive la défaite municipale ! » qui explique que pour François Hollande, plus les collectivités passeront à droite, et plus il pourra les pressurer au nom de l’orthodoxie budgétaire. Bien vu. De toute façon, 155 villes sont perdues par le PS, des dizaines par le PCF, et pas un commentateur pour craindre que ces localités perdent leur gestion de « gauche » (au sens du parti solférinien) au profit d’une gestion de « droite », peut-être parce qu’aujourd’hui plus personne ne croit à une différence significative entre les deux… Là aussi, l’absence de démocratie au niveau européen a fini de dessécher la démocratie nationale comme au plan local. S’il n’y a plus d’alternative à l’austérité généralisée, qu’importent les alternances pour nos concitoyens ?

Résumons-nous. Le président élu pour mener théoriquement une politique de gauche (au moins plus à gauche que son prédécesseur) accentue l’austérité. Son électorat le fuit, mais il persiste et nomme Manuel Valls pour conduire un « gouvernement de combat ». Un « combat » contre qui ? Contre les syndicalistes des boîtes en colère ? Contre les immigrés et les Roms ? Contre les retraités et les fonctionnaires ? Contre les malades et les fragiles ? Autant de catégories qui ont vu leur situation se dégrader depuis deux ans du fait de la pente à la fois autoritaire et austéritaire dévalée par la majorité PS-EELV.

J’entendais ce matin sur France Inter Arnaud Montebourg en faire des tonnes sur le fait que, comme lui, M. Valls avait « fait campagne pour le Non » au traité constitutionnel européen en 2005. La belle histoire ! Valls croyait tellement au « non » qu’il a appelé à voter « oui » ! Qu’a-t-il fait de cette victoire du « non » à laquelle il n’a pas mis la main alors que nous, nous menions meetings, tractages, réunions publiques, qu’avec nos amis de gauche nous avons su créer une majorité progressiste pour le « Non » ? Pire que rien, il l’a trahie en votant pour le traité de Lisbonne en 2008 au mépris du suffrage majoritaire des Français ! Si je reviens à cet épisode, c’est que la source de l’impuissance est là, dans le fait que nos parlementaires et élus se passent eux-mêmes les menottes de l’impuissance[3] dans une folle fuite en avant européiste et ultralibérale. Or, d’après une passionnante étude IPSOS, 44% des abstentionnistes du premier tour des municipales justifient leur grève du vote par le fait « que ces élections ne changeront rien à leur vie quotidienne ». Plus loin, 52% d’entre eux ne souhaitent ni la victoire de la droite ni la victoire de la gauche. La confusion organisée dans les esprits et le désabusement sont à leur comble.

Un mince espoir se fait pourtant jour. La nomination de Valls, un camouflet à tous ceux qui ont dit « assez à l’austérité » par l’abstention ou par le vote bien à gauche, a amené ce soir les écologistes d’EELV à quitter le gouvernement. Le Front de gauche ne votera pas la confiance à Valls, tandis que ce que l’on appelle l’ « aile gauche » du P « S », éternels cocus de l’histoire, commence à trouver que la plaisanterie est allée trop loin. Or, ce qui s’est passé à Grenoble les 23 et 30 mars, et dans tant d’autres villes, montre que des majorités alternatives à la domination du Parti solférinien sont possibles !

Les composantes de cette nouvelle majorité, à la fois sociale et écologiste, se trouveront réunies dans la rue le 12 avril à Paris, Métro République, pour dire leur ras-le-bol à l’austérité ! Et le 25 mai lors des élections européennes, nous voterons résolument contre les supporteurs de cette abominable politique !



[1] Voir l’ouvrage de Rémi Lefebvre, Les primaires socialistes, la fin du parti militant, éditions Raisons d’agir, 2011.

[2] Comme expliqué par François Delapierre dans Délinquance : les coupables sont à l’Intérieur, éditions Bruno Leprince, 2013.

[3] Suivant l’expression de Jacques Généreux dans Nous on peut !, Seuil, 2011.