Dans ce second billet sur la réforme des régions, après avoir expliqué comment s'était décidée la fusion du Nord-Pas-de-Calais et la Picardie au Parlement, je reviens sur les argumentaires entendus pour la justifier, ainsi que ses conséquences sur le travail de la région et sur le rôle des élus…
Lors des débats au Sénat et à l’Assemblée nationale, des arguments de toutes sortes sont invoqués pour justifier telle ou telle combinaison de régions. J’en isole de plusieurs catégories :
Des arguments historiques sont souvent produits qui remontent fréquemment au Moyen-Âge… cela prêterait à sourire si l’on ne discutait pas du futur cadre des politiques publiques du XXIème siècle. Par charité, je ne relèverai pas d’exemple car tout cela revient à des querelles de lignages dignes de l’Ancien régime. Évidemment cela n’a que peu de portée sur le vécu de nos concitoyens.
La taille critique des régions est invoquée mais l’argument est souvent battu en brèche, l’exemple allemand montrant que l’on peut avoir des régions « puissantes » mais de tailles extrêmement différentes en termes de population ou de superficie. Pour mémoire, si le Nord-Pas-de-Calais était un land, elle se situerait dans la moyenne allemande.
Fusionner des régions serait une source potentielle d’économie par la réorganisation de leurs moyens. Malheureusement, le rapporteur du projet de loi au Sénat, Michel Delebarre a avoué en commission que le texte en débat « ne donnera lieu qu'à des économies d'échelles très modestes, qui seront peut-être même compensées par l'augmentation des coûts de personnel, si les fusions se font par un alignement à la hausse de leurs conditions de rémunération ». Il est pourtant à craindre des « économies », mais elles seront imposées avec la brutalité du Plan d’économie de 50 milliards d’euros, dont 11 sont imputés aux collectivités. J’y reviens plus bas.
D’aucuns se hasardent à demander de l’efficience à cette réforme… On se demande comment l’organiser quand on ne connaît pas encore la réforme des départements promise dans la foulée, et rien non plus sur l’évolution des compétences des régions et leurs moyens ! Autrement dit, le gouvernement dessine le cadre, il le remplira plus tard !
Enfin, certains parlementaires évoquent des arguments de cohérence géographique, en général les plus porteurs. S’il faut fusionner, alors certaines données géographiques (la continuité côtière, le réseau routier et ferroviaire…) sont assez objectives pour être prises en compte et justifier des rapprochements. J’ai bien dit « s’il faut fusionner », car on voit bien que c’est le cadre de fer décidé à l’Élysée qui prime sur tout autre argument.
En effet, le problème général posé par ces fusions est bien de savoir « une région, pour quoi faire ? ». En l’espèce, la théorie n’existe pas, il n’y a que de la pratique. Rebattre les cartes des collectivités territoriales est un processus extrêmement compliqué qui bouleverse les cadres de politiques publiques institutionnalisés depuis des années, voire des décennies. Cela ne devrait donc se pratiquer qu’au terme d’une réflexion et avec des objectifs clairs. Or, il n’y en a pas. La preuve que cette réforme n’a pas de sens, c’est que l’on redécoupe des territoires sans aucune règle, sans autre finalité que la réduction du nombre de régions. Et une autre preuve est que des régions peuvent passer d’une combinaison à une autre en un quart d’heure, à la faveur d’un amendement, sans aucune étude préalable, sur un coup de poker.
Personnellement, je suis opposé à la fusion entre notre région et la Picardie, pour des motifs qui n’ont rien à voir avec ceux évoqués par le PS principalement. Martine Aubry a parlé d’ « aberration économique et sociale » car on marie deux régions « pauvres ». De mon point de vue, ce n’est pas un argument recevable, car la solidarité nationale et la péréquation entre les territoires devraient idéalement jouer pour compenser ces handicaps que le NPdC connaît bien. Ce que Martine Aubry ne peut pas dire mais qu’elle sait, c’est que cette réforme a pour but de créer un vaste brouillard derrière lequel on comprimera de force les dépenses des collectivités locales. Pendant que les citoyens regarderont le découpage de leur nouvelle région, l’État retirera plus de 1,3 milliard d’euros à l’ensemble des régions au niveau national au nom du Plan d’économie, ce qui mettra les habitants des deux régions dans des difficultés encore plus grandes.
Le NPdC et la Picardie connaissent un vote FN très important. La belle affaire, à qui la faute ? Qui a laissé tomber l’industrie ? Qui a entériné tous les traités européens qui font tant de mal à nos activités ? Qui a laissé s’organiser la concurrence libre et non faussée au niveau européen ? Qui a vidé notre vie démocratique de son sens, en organisant l’impuissance au plan national ? La responsabilité du PS et de l’UMP en la matière est écrasante. Si la région fusionnée devait être emportées par Marine Le Pen, ce serait à mettre au crédit de la remarquable gestion libérale du P « « « S » » » et de son incapacité à tirer les leçons de ses échecs économiques et politiques. Ce n’est pas non plus une bonne raison contre la fusion des régions.
De mon point de vue, ces fusions sont un immense gâchis de temps et d’énergie des élus et des services qui les assistent au quotidien. C’est là où je fais le rapport avec l’activité des élus régionaux, et en quoi elle consiste. Dans un cadre institutionnel délimité, nous avons pour rôle de gérer au quotidien les services rendus à la population (lycées, transports, formation professionnelle, etc.), ce qui implique au préalable une réflexion stratégique dans de multiples domaines d’intervention. Un conseil régional bâtit des schémas régionaux qui servent de cadre à son action publique. On peut citer par exemple le Schéma régional de développement économique, celui sur l’enseignement supérieur et la recherche, celui sur le climat, celui sur les transports et mobilités, etc. Ils sont compilés en un seul document qui est le schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire. Tout ce travail partenarial, scientifique et politique est réalisé à l’échelle d’un territoire avec une multitude d’acteurs, il est donc à repenser complètement si celui-ci évolue… Il faut tout reprendre à zéro, avec de nouveaux intervenants, et trouver de nouveaux équilibres sur un territoire plus grand… et tout cela pour quoi ? Pour quelle efficience chimérique ? Cela se paiera d’une paralysie de l’action publique locale. La question sera la même pour chaque région, y compris notre voisine la Picardie qui n’a rien demandé avant qu’on la force à fusionner. Mais ce n’est peut-être pas le pire dans l’immédiat.
Si la fusion des régions est confirmée au Parlement, les citoyens, écartés du processus en cours, vont être convoqués aux urnes pour élire leurs représentants pour un nouveau territoire assez irréel. Ils seront noyés dans un grand ensemble qui leur est étranger. Tout se passe comme si les gouvernants s’ingéniaient à saper progressivement les repères des citoyens. Dans ce contexte, aucune figure n’émergera du côté du PS (discrédité de toute façon par sa politique gouvernementale) ni du côté de l’UMP (plombé par les affaires de toutes sortes, même si nombre d’élus UMP dans les Assemblées semblent déjà saliver à l’idée de faire trébucher un imprenable bastion PS). Les élections régionales et européennes connaissent des taux d’abstention assez voisins, de l’ordre de 55 à 60%. Or, à ce taux d’abstention, l’électorat FN est plutôt mieux mobilisé que les autres, nous l’avons déjà constaté. Dans ce cadre nouveau d’une région fusionnée, les électeurs pourraient bien voter en fonction de ce qu’ils connaissent déjà bien, la « marque » FN, moins par adhésion que par dépit et par désespérance. Avec ce paradoxe de porter dans des assemblées locales les élus les moins utiles car les moins bosseurs qui soient ! D’autres forces comme le Front de gauche seront-elles en mesure de renouveler le débat local ?
Mais revenons au rôle des élus régionaux. Un article du Monde m’a particulièrement choqué ces derniers jours. Lors du vote de la loi, il a été établi que le nombre de conseillers régionaux resterait le même après qu’avant, d’où cet article au ton persifleur de l’auteur, Mme Hélène Bekmezian (voir aussi le déchaînement atterrant des commentaires qui le suivent). Cette dame sait-elle en quoi consiste le travail d’un élu régional ?
Comme vous le savez déjà, je « cumule » mon mandat avec une activité salariée à temps plein qui n’a rien de fictive. Un conseiller régional est censé assister bien sûr aux séances plénières environ toutes les six semaines, qui doivent être préparées dans le cadre de son groupe. Il appartient fréquemment à 2, 3, voire 4 commissions thématiques qui voient passer toutes les délibérations relatives à toutes les politiques menées par le conseil régional, ce qui fait de nous de petits spécialistes sur certaines d’entre elles. Si l’on veut mener à bien ce travail, eh bien il faut du temps, il faut s’informer, échanger, consulter, rencontrer, se déplacer, être assidu, bref c’est un travail dédié au collectif. C’est cela qui nous permet de nous faire une opinion, et au final de décider. Le nombre de conseiller régionaux ne traduit donc pas la faveur des « privilégiés » comme le disent les ignorants, c’est en partie le signe de la complexité de la tâche à mener. Je ne défends pas ici un nombre absolu d’élus, mais je combats le principe d’une réduction nécessaire, comme si le détenteur d’un mandat était une vache sacrée à abattre. Ajoutons que chaque élu est appelé à siéger dans plusieurs conseils d’administration de lycées et d’organismes extrêmement hétéroclites, d’où un nouveau rôle, celui de correspondant entre l’établissement et la région. Là encore, un élu est censé savoir de quoi il parle, donc préparer etc. Je ne vous refais pas l’article.
En même temps, il faut savoir ce que l’on veut comme démocratie. Souhaite-t-on une assemblée de fonctionnaires et techniciens qui décident ? Je n’ai rien contre les fonctionnaires, j’en suis un « dans le civil », mais non, notre rôle d’élu n’est pas le même. Ici, c’est l’intime conviction forgée par les idées, le militantisme, le parcours personnel, les expériences multiples, qui servent à décider, et non le cadre réglé par la subordination hiérarchique. En tant qu’élu, je me dois d’exercer ma liberté de conscience au service de l’intérêt général, et non obéir de manière neutre. Il y a une continuité entre mon engagement politique et mon activité d’élu : dois-je m’en excuser ? Y a-t-il tant de citoyens que cela qui, du lever au coucher pensent à l’action collective ? Oh, certes, les élus ont bien des défauts (surtout s’ils enchaînent les mandats ou en vivent trop longtemps…), mais le contexte de la fusion des régions ou plus largement de refonte territoriale ne doit pas être le moment de déverser la haine sur eux, au moment où l’on va avoir le plus besoin d’eux !
En conclusion, je suis opposé à la fusion des régions, quelles qu’elles soient, car ce n’est qu’un hochet de vanité d’un Président en déroute. Inutiles, incertaines, dénuées de sens, improvisées, elles vont provoquer une dispersion d’énergie inouïe en pure perte. Ces fusions ne peuvent servir qu’à faire passer en douce l’austérité sur les investissements publics locaux, et ce au moment où le pays meurt déjà du manque de projets. De toute façon, avec ou sans les Picards, les vrais élus de gauche ne se laisseront pas faire sans mot dire.