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Les Docteurs Folamour de l’Union européenne

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L’accord entre la Grèce et la Troïka (UE, FMI et BCE) le 13 juillet dernier marque une nouvelle étape dans l’autoritarisme européen. Sans redire ce qui a été très bien exprimé par d’autres (voir le dossier complet dans le Monde diplomatique du mois d’août 2015, parmi d’autres sources), j’aimerais revenir sur quelques points de cet événement qui m’ont particulièrement frappé.

C’est à cela que l’on reconnaît les génies. Stanley Kubrick a produit avec son Dr Folamour une œuvre qui prend place parmi les récits mythiques. Il a su, au sein de la nation américaine du début des années soixante c’est-à-dire en pleine Guerre froide, créer un film qui constitue un précipité d’émotions réunissant tout à la fois le rire salvateur devant la bêtise des puissants, et la peur devant les conséquences de cette bêtise. Chaque génération peut revoir Dr Folamour avec son propre œil et y trouver le reflet de son temps. Ainsi de la conduite de l’Europe dans ce qu’il est convenu d’appeler la « crise grecque », qui est en fait la manifestation de la crise morale et politique des dirigeants européens.

Oh bien sûr, c’est le fauteuil du Dr Schäuble, désormais célèbre ministre allemand des Finances, qui m’a d’abord fait penser au personnage du Dr Folamour, mais au-delà de cette ressemblance corporelle, c’est le caractère obsessionnel des deux intéressés qui les rapprochent. Le Dr Schäuble a eu une attitude durant les « négociations » de l’eurogroupe avec le gouvernement grec d’Alexis Tsipras qui témoignait de sa recherche du grexit, et de rien d’autre.

La grande nouveauté de la dernière séquence est inédite : pour la première fois, les protagonistes de la négociation, en particulier du côté grec, ont témoigné publiquement de la teneur des échanges, et cela change tout ! Réfléchissons-y, lorsque c’étaient Papandréou ou Samaras, les prédécesseurs de Tsipras, qui étaient humiliés (et à travers eux, tout un peuple), ils restaient psychologiquement solidaires de leurs homologues européens, tenus par des fils invisibles telles que l’appartenance aux mêmes groupes parlementaires européens (PSE ou PPE), ou simplement le fait d’appartenir à la même caste. On restait donc entre gens de bonne compagnie, même si c’était pour faire du sale boulot[1].

Le ministre grec sortant des finances, Yanis Varoufakis, a témoigné dans une interview donnée au Newstatesman (traduite ici) puis dans un article du Diplo du mois d’août. C’est un passage de la première interview qui m’a le plus frappé : « il y avait un refus catégorique de débattre d'arguments économiques. Refus catégorique. Vous mettez en avant un argument que vous avez vraiment travaillé – pour être sûr qu'il soit cohérent, logique – et vous n'avez en face de vous que des regards vides. C'est comme si vous n'aviez pas parlé. Ce que vous dites est indépendant de ce qu'ils disent. Vous auriez aussi bien pu chanter l'hymne national suédois, vous auriez eu la même réponse. Et c'est déconcertant, pour quelqu'un habitué au débat universitaire… l'autre camp réplique toujours. Et bien là, il n'y avait pas réplique du tout. Ce n'était même pas de la gêne, c'était comme si personne n'avait parlé. » Tout est dit. On ne peut mieux exprimer le blocage européen.

La discussion entre le gouvernement Syriza et ses homologues européens ne pouvait avoir lieu pour au moins deux raisons. D’une part, le Dr Schäuble est un tenant de l’ordolibéralisme, la doctrine économique allemande qui irrigue les politiques publiques du pays depuis la seconde guerre mondiale et considère que les règles garantissant la libre concurrence doivent toujours prendre le pas sur les politiques conjoncturelles[2]. Pour lui, la faillite d’un pays comme la Grèce relève de la faute morale, et les Grecs doivent expier avant toute chose. Dans ces conditions, aucun échange n’est possible avec un gouvernement venu discuter de la remise à plat des plans d’austérité. D’autre part, les gouvernements européens qui appliquent servilement une politique austéritaire n’ont nulle envie de céder un pouce de terrain à un partenaire dont l’objectif est de renverser ledit ordre austéritaire. L’irruption de Syriza et de ses représentants rompt le conformisme intellectuel qui préside à l’Union européenne. On le lui fait chèrement payer.

Si nous saisissons bien la portée de ce qu’exprime Varoufakis, aucune controverse sur l’état de la Grèce et de son économie, sur les mesures qui lui sont imposées, aucun souci de vérité ou d’efficacité de ce plan (qui n’a pas plus de chance de réussite que les précédents) et encore moins de sollicitude n’a cours dans les plus hautes sphères européennes. Bien sûr, nous nous en doutions fort, mais jamais nous n’avions eu de l’intérieur la confirmation du dogmatisme qui règne sur ces sommets. Peu importe ce qu’endurent les peuples, peu importe que les remèdes de cheval tuent le malade, du moment que le culte est célébré en grande pompe par ses servants.

Les hiérarques européens disent quelque fois plus qu’ils ne croient. Ainsi Donald Tusk, président du Conseil européen, lorsqu’il déclare au Financial Times le 17 juillet « La confrontation acharnée autour de la Grèce a donné un regain d’énergie aux groupes radicaux de gauche et de droite, créant une atmosphère pré-révolutionnaire que l’Europe n’avait pas connue depuis 1968 ». Devant la sainte trouille exprimée ici, les gouvernements européens recréent la Sainte-Alliance de 1815, l’entente entre monarchies qui visaient alors à empêcher la diffusion des idées révolutionnaires sur le continent. Car comme en 1815, la construction européenne que nous connaissons aujourd’hui ne se contente pas de rendre plus difficile le progrès social et écologique, elle est maintenant officiellement dans le camp réactionnaire ! Que règne l’ordre, sous peine de sortie du système.

Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis, qui ne sont pas des tendres, ont bien décrit l’atmosphère de règlement de comptes suscitée par les attaques du Dr Schäuble et de ses acolytes, et la claire volonté de virer le mauvais élève de la classe, à titre d’exemple. La volonté d’humilier les représentants grecs était manifeste, au mépris du minimum de considération que l’on serait en droit d’attendre des partenaires européens.

Pour finir, quelques pistes de réflexion.

D’abord, attaquer les dogmes économiques partout où c’est possible. Nos camarades de Podemos s’y sont attelés avec un certain bonheur en créant des émissions télévisuelles qui déboulonnent les certitudes par un débat implacable entre partisans et opposants de l’austérité[3]. Les austéritaires sont assez vite à cours d’argument lorsqu’ils sont confrontés aux conséquences réelles de leurs agissements. Menons la bataille culturelle.

Ensuite, l’économie, c’est d’abord du politique, l’accord véreux du 13 juillet l’illustre. Personne ne croit au succès de cet accord, obtenu dans des conditions invraisemblables et mis en œuvre tant bien que mal par la Grèce en… 8 jours. Le Canard enchaîné du 29 juillet s’est amusé à presque minuter la façon dont les 977 pages de l’accord ont été traduits au plan législatif par la boulé grecque. Rien de tout cela n’a de sens, toutes les règles démocratiques sont foulées aux pieds. Il nous revient de recréer la souveraineté populaire dans chaque nation du continent.

Enfin, rien n’est réglé, les prochains rounds sont pour bientôt. Nous savons que les Dr Folamour vont mener l’UE à sa perte, et qu’à ce moment-là, les Podemos, Syriza et autres Front de gauche, nous devrons être prêts à prendre nos responsabilités en bousculant les institutions.

 


[1] Seul Papandréou avait eu des velléités démocratiques en annonçant la tenue d’un référendum sur les mesures d’austérité en octobre 2011. En quatre jours, le manque de soutien de sa majorité PASOK, et les pressions européennes (« il faut tuer ce référendum » déclarait Manuel Barroso, alors président de la Commission) le faisait remplacer par un docile gouvernement de techniciens.

 

[2] Pour des explications sur l’histoire et l’influence de l’ordolibéralisme, voir l’excellent article collectif dans le Diplo du mois d’août.

 

[3] J’aimerais y revenir une prochaine fois, mais on peut consulter avec grand intérêt PODEMOS, sûr que nous pouvons !, de Carolina Bescansa, Iñigo Errejon, Pablo Iglesias & Juan Carlos Monedero, éditions Indigène (2015).

 

Syriza et la Grèce défient la finance

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Nos vœux de réussite vont ce soir à nos camarades de Syriza, qui ont conquis de haute lutte la majorité au Parlement grec. Après des années d’humiliations infligées au peuple grec par le FMI, la BCE et l’Union européenne, c’est un signe d’espoir qui apparaît à Athènes.

Comprendra-t-on un jour comment des fonctionnaires européens et économistes de la Troïka ont pu en toute impunité mettre tout un peuple à l’amende, diminuer de 40% les pensions tout en renchérissant d’autant les soins, supprimer quasiment le droit du travail, mettre le patrimoine du pays à l’encan, diminuer le SMIC local de 30% ? Comment la dette publique grecque est passée de 125% du PIB à 180% aujourd’hui en dépit des saignées imposées au peuple, tout en épargnant les grandes fortunes privées et celle de l’Église orthodoxe ? Et comment des dirigeants grecs ont pu accepter d’être les hommes de paille d’un pouvoir non élu, véritable dictature qui a suspendu la vie démocratique du pays durant plusieurs années ? Le tout avec l’assentiment, pire, les menaces contre les Grecs des chefs d’États européens qui prétendaient parler en notre nom !

Avec la victoire de Syriza, c’est sa souveraineté qui est rendue au peuple grec. De formidables défis sont à relever par la nouvelle majorité menée par Alexis Tsipras. Sa réussite est maintenant une question d’intérêt européen que nous aurons à cœur de soutenir par tous les moyens.

Il est plaisant de voir que ce qui était impossible il y a quelques jours encore devient soudainement envisageable. Devant la victoire de Syriza, les instances européennes vont se mettre à la table de négociation avec le nouveau pouvoir grec pour alléger la dette du pays. Pour la Troïka, un atterrissage en douceur est préférable afin d’éviter de choquer les si sensibles marchés financiers… C’est ce qui s’appelle retourner la situation en sa faveur. La victoire de Syriza change le rapport de forces en faveur du peuple grec. Puisse son exemple faire tâche d’huile parmi les pays qui ont le plus souffert des politiques ravageuses favorables à la finance !

Il y a mieux encore. L'importance donnée à l'élection grecque dans nos médias donne une audience inédite à nos idées et à nos couleurs. Plus que jamais nous sommes interdépendants : demain, la réussite d'Alexis Tsipras sera montrée en exemple partout et, nous l'espérons, ouvrira la voie en Europe à d'autres victoires de la gauche radicale et écologiste.

Vive Syriza ! Vive le peuple grec !  Résistance !

Débat d’orientation budgétaire 2015 : soutenons l’investissement !

Bénédicte DUBART "Aguavidad"Le 18 décembre, le conseil régional Nord-Pas-de-Calais organisait son "débat d'orientation budgétaire" (DOB) pour 2015, débat sans vote et étape obligatoire avant le débat budgétaire proprement dit dans un mois. J'y ai exposé la position de mon groupe, attentif au soutien aux investissements de la région pour faire front à l'austérité.

 

 

Monsieur le Président, Monsieur le Vice-président, chers collègues,

Je remercie Monsieur le Vice-président de son exposé de la situation, pédagogique comme chaque année, très clair et objectif. Nous connaissons déjà bien les paramètres du débat : une situation économique déprimée, dans laquelle les entreprises et les états européens sont enlisés, situation dont le plus frappant est sans doute aujourd’hui l’absence de perspectives.
Nous sommes entrés dans une spirale dépressive, entretenue par une politique économique contracyclique. Les États en Europe ont décidé que le premier problème à régler était celui de la dette publique, avec pour effet de contracter la commande publique et de barrer l’horizon économique.
Il y a d’ailleurs un comble dans le fait qu’en France, l’État s’est endetté, mais fait porter l’effort de désendettement en priorité sur les collectivités locales dont les comptes sont globalement sains.
Par ailleurs, la légitimité de cette dette publique est en partie discutable, car elle résulte de choix favorables aux grandes entreprises, aux multinationales et aux contribuables les plus riches.

L’État a donc cessé d’investir, laissant les collectivités locales le faire, et maintenant, c’est ce dernier moteur que l’on éteint. Les entreprises elles-mêmes consacrent leurs liquidités, quand elles en ont, non à l’investissement, mais au désendettement, soit une stratégie de rentier, au détriment complet de l’activité et de l’avenir.
Dans ce contexte, la dépense publique, en particulier l’investissement, est un soutien indispensable à l’activité économique. C’est clair lorsque nous soutenons la rénovation urbaine ou entreprenons des travaux d’équipement, c’est clair aussi, par exemple, lorsque nous achetons du matériel ferroviaire. À cet égard, entendrons-nous l’appel de notre industrie ferroviaire en grand danger faute de commandes publiques ? La question n’est, bien sûr, pas posée seulement à notre institution.

Le Conseil régional est à la fois un acteur économique capable de vision de long terme, nous l’avons montré, et un soutien immédiat à l’activité locale au travers de nombreuses politiques publiques d’aménagement, d’éducation, de formation, de transport, etc. Vous l’avez rappelé, depuis la disparition de la taxe professionnelle, les ressources du Conseil régional sont presque totalement dépendantes de décisions prises ailleurs. Notre autonomie est donc très théorique. Par ailleurs, les dépenses sont fortement conditionnées par des compétences obligatoires et bien souvent par notre souci de pallier les manquements de l’État.
Dans le moment que nous vivons, il est essentiel que nous ne cédions rien sur l’investissement, que les projets régionaux soient soutenus et que notre collectivité continue de jouer un rôle de mise en cohérence des dispositifs de développement. Il y a tant à faire dans une région qui s’essaye à la transition sociale et écologique. Elle ne se fera pas sans une participation publique déterminante.

Notre groupe note avec intérêt le cap que vous indiquez, à savoir une stabilité des moyens de fonctionnement, alors que l’an dernier, une décélération était programmée, et la continuité de l’effort d’investissement.
Nous notons avec encore plus d’intérêt, sans jeu de mots, que la dette de notre Conseil régional est maîtrisée, avec une durée de remboursement moyenne d’environ sept ans, ce qui, pour nous, signifie que nous avons les moyens de prendre le relais d’un État défaillant, à la hauteur, par exemple, des 32 millions d’euros de manque à gagner sur la DGF 2015. Notre capacité d’endettement nous y autorise et les taux auxquels nous pouvons emprunter nous y incitent.
Vous avez appelé, Monsieur le Vice-président, à la responsabilité et au pragmatisme. Pour notre groupe, la responsabilité et le pragmatisme se résument au soutien à l’économie locale pour éviter la casse de l’outil.

Nous ne sommes pas les seuls à pâtir de la politique de désendettement choisie par le gouvernement, mais nous ne réagissons que faiblement. Permettez-moi de faire référence à deux importantes municipalités, Paris et Grenoble, dont les maires ont pris des positions claires et courageuses contre les politiques d’austérité. À Paris, la majorité, pourtant de la même couleur politique qu’en Nord – Pas de Calais, a adopté un programme d’investissement record pour « accélérer la dépense publique et créer ou maintenir 200 000 emplois directs et indirects ». À Grenoble, le maire Éric PIOLLE et sa majorité lancent un appel contre "l’austérité imposée" et critiquent « l’impact récessioniste très fort » de cette politique. Des appels de ce genre se multiplient, très souvent organisés autour des communes qui, il faut l’avoir en tête, ont gardé des capacités fiscales dont nous sommes démunis. Et nous, quel message enverrons-nous ?

Monsieur le Président, Monsieur le Vice-président, nous savons aussi combien ce débat d’orientations budgétaires est historique, car, vous l’avez noté, c’est le dernier pour notre institution. Nous pouvons avoir le coeur lourd de voir le compte à rebours commencer aujourd’hui vers une fusion de régions que presque personne n’a désirée. Cathy APOURCEAU-POLY a pu dire tout à l’heure à juste titre que nous l’avons découverte il y a peu de temps. Fusion qui n’a jamais été approuvée par le vote des citoyens, drôle de décentralisation qui considère les collectivités territoriales comme des mineures sous tutelle permanente.

Oui, nous sommes bien à la fin d’un cycle, nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous parlerons enfin des futures compétences et des moyens alloués aux grandes régions fusionnées.

Merci de votre attention.

 

Photo de l'oeuvre de Mme Bénédicte DUBART "Aguavidad", exposée il y a deux ans dans le hall du conseil régional.