Le 24 avril, j'ai exprimé l'avis de mon groupe sur le futur Schéma directeur des usages et services numériques (SDUS), après que le syndicat mixte La Fibre 59/62 ait présenté son fonctionnement et ses ambitions.
Monsieur le Président, chers collègues,
Le schéma directeur des usages et services numériques qui nous est présenté dit beaucoup de choses et nous pensons qu’il en dit même sans doute trop.
La délibération et la présentation du syndicat mixte Nord – Pas de Calais numérique ce matin pose plusieurs questions stratégiques ; j'aimerais aborder celles qui nous semblent essentielles. J'en profite pour remercier les orateurs de ce matin pour leur apport au débat, qui nous semble bien plus déterminant que les orateurs de la veille.
La première question abordée est celle du coût. Le projet de développement du très haut débit dans la région Nord – Pas de Calais est un investissement lourd, 500 millions d'euros par an pendant 10 ans, quand bien même la facture de 500 millions serait réduite entre 210 et 250 millions par des aides de l’État, de l’Union européenne et la redevance des opérateurs.
La présentation du plan d’action pour le déploiement de la fibre 59/62 montre que les zones a priori les plus juteuses sont dans l'escarcelle du privé, alors que la partie dite « d’initiative publique » correspond aux zones délaissées par l'initiatrice privée. Nous nous interrogeons sur qui a présidé à cette répartition territoriale.
On parle de gratuité pour les abonnés, mais, bien sûr, d’un coût annoncé de 1,1 milliard d'euros pour la partie d'initiative publique ; c'est le modèle économique qui doit être expliqué un peu plus avant ici : qui paye quoi dans ce projet et en face de quelle recette ?
Deuxième question que nous nous posons : celle des choix technologiques.
Après la course à l’ADSL pour tous dans la région, avec des débits d’ailleurs très divers d’une commune à l’autre, nous voici invités à développer le très haut débit pour réduire la fracture numérique. D'ores et déjà se pose la question de l'extinction de l’ADSL qui est demandée par Orange qui veut imposer partout la fibre. Se pose aussi la question des technologies VDSL 2, qui améliorent sensiblement le débit si on est jusqu’à 1 500 mètres du noeud de raccordement d'abonnés (NRA) le plus proche.
À entendre les différents intervenants, nous avons la confirmation que nous subissons plus ces choix technologiques que nous ne les maîtrisons.
La fibre 59/62 indique sans crainte aucune « que la fibre est une technologie pour les 50 prochaines années ». Si l’on considère l’évolution technologique de 1965 à aujourd’hui, on ne peut qu'être amené à relativiser cette belle assurance. La question est de savoir quel est le positionnement de la région dans ces choix technologiques.
La troisième question est relative au déploiement territorial. Si on peut faire aujourd'hui l'approximation que les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais s'équipent au même rythme, de façon équilibrée au niveau de la fibre, du fibrage, avec aujourd’hui 46 communes fibrées pour le Nord et 43 pour le Pas-de-Calais, cela devient évidemment totalement déséquilibré en comparaison avec la Picardie qui est en net décalage. En Picardie, aujourd’hui, trois
communes seulement sont raccordées sur l’ensemble des trois départements, contre 89 dans le Nord – Pas de Calais. Nous nous fixons comme objectif un passage total à la fibre en 2025, alors que notre voisine picarde prévoyait de le faire en 2030.
Quels objectifs nous donnerons-nous en la matière ? Doit-on poursuivre l’idée d’un accès rigoureusement égal pour tous aux très hauts débits – je mets un pluriel, puisqu'il existe différentes forces accessibles dans les foyers – sans que l'on sache si, un jour, ce déploiement sera pertinent compte tenu de ses coûts.
Quatrième question : les usages. Il est vrai qu’un tiers des habitants de la région n'a pas accès au très haut débit, la moyenne nationale s'élève à 14 % ; pour autant, ils ne sont pas coupés de la toile. Il nous semble pertinent de distinguer la fracture technologique vécue principalement par les communes rurales de la région et la fracture sociale vécue par les citoyens.
On nous parle d’un bond en avant technologique pour des usages multiples, mais dont bon nombre sont loin d'être aboutis à ce jour ou dont certains ne nécessitent surtout pas un tel déploiement pour fonctionner. Un exemple d'usage non abouti de modèle technologique est la télé 4K ou le HD+, qui sont à leurs balbutiements aujourd’hui et dont le nombre de postes dans les foyers est encore extrêmement limité.
Le télétravail, pour sa part, n'avance pas en France autant que dans nombre de pays européens, non en raison de blocages technologiques, mais avant tout, il faut bien le dire, pour des raisons managériales et sociologiques.
Il serait intéressant, sur ces usages, de savoir combien d'habitants sont éloignés des services numériques en en distinguant les causes, qu’elles soient géographiques, générationnelles, socio-économiques ou matérielles.
Cinquième question, qui n'a pas été évoquée jusque-là : la question environnementale. Qu'en est-il de l'empreinte carbone de ces usages ? Le coût environnemental est-il supportable à terme ? Pour le moment, les promesses de sobriété relatives aux nouvelles technologies ne sont pas probantes, notamment en termes de consommation de matériaux tels que les métaux, les terres rares et, bien évidemment, en termes énergétiques.
En conclusion, le paysage numérique est peuplé d'acteurs dont la puissance respective est bien souvent plus importante que la nôtre. Quel rôle jouera ce SDUS dans la mise en cohérence des initiatives territoriales très diverses et des opérateurs en concurrence?
Nous voterons finalement ce SDUS, car il constitue sans doute une base de travail, un état des lieux à un moment donné, mais, à ce stade, n’est en rien décisif ni engageant pour l'avenir.
Merci de votre attention.