Il va nous falloir longtemps pour mesurer les événements qui viennent de nous frapper. Élimination des partis de gauche du paysage politique dans plusieurs régions, explosion des scores du Front national et abstention toujours massive. Bien sûr, nous avons des éléments d’analyse : ce sont des tendances lourdes qui se sont aggravées. Quant à moi, je tâtonne et je tombe de haut. Après un mandat de conseiller régional bien rempli, passé à ingurgiter les dossiers, à apprendre, rencontrer, découvrir, défendre, attaquer, après une campagne menée tambour battant dans le Rassemblement, voilà le vide et l’amertume de laisser la place à une nouvelle assemblée bleue et brune. Comment tout cela a-t-il pu déraper à ce point ? Le problème n’est pas ma personne bien sûr mais le sacrifice de toute une famille de pensée, faute d’avoir pu parer le désastre. Après l’action revient le temps des interrogations.
Fin septembre, constatant l’impossibilité d’une liste comprenant le PCF, le Rassemblement mené par Sandrine Rouseau part en campagne dans la configuration EELV-PG-ND-NGS et le soutien de collectifs citoyens. On me demande de prendre la tête de liste dans le département du Nord, malgré mes réticences car, étant engagé professionnellement, je doutais de pouvoir assumer cette fonction. C’est un magnifique cadeau qui m’est alors fait. Je puis témoigner combien notre liste a tout donné pour porter un programme à la fois le plus ambitieux et le plus révolutionnaire dans le cadre de ce qu’autorisent les compétences d’un conseil régional. Et pourtant…
Cette campagne a été, suivant l’expression de notre directeur de campagne Enzo Poultrenier, « à handicaps ». Dès la décision courageuse prise par les adhérents d’EELV dans notre région, à la fois de refuser l’union avec le P « S » au premier tour, tout en tendant la main aux forces du Front de gauche pour construire une alternative à gauche et écologiste, la presse ne vibrait plus que par les départs organisés soigneusement pour affaiblir notre allié. Les traîtres de Carnaval qui quittent alors EELV vont saturer l’espace médiatique autour de leur ancien parti qui commence à en subir les retombées dans les sondages.
Il y eut deux temps dans cette campagne : avant le 13 novembre, où l’opinion se désintéressait de cette « drôle de guerre », moment où les listes se faisaient ou pas, où le paysage du premier tour se dessinait dans une relative indifférence tant le scrutin régional échappe au sens commun. Et après le 13 novembre, l’ambiance belliciste générale a achevé de nationaliser un vote qui, dès lors, ne laissait plus d’espace aux thématiques locales ni aux débats autour de la COP21 dont nous supposions qu’ils renforceraient nos positions.
Il est important d’y insister. Ce qui a signé l’échec électoral du Rassemblement, nouvelle offre politique difficile à identifier par les électeurs, c’est que les élections régionales ne constituent qu’une faible opportunité de mobilisation citoyenne. D’abord car les compétences de la région sont mal connues et partielles (ce n’est pas un État), ensuite car les occasions d’interactions avec les citoyens sont au final très faibles. J’aborde là un point qu’il faut regarder avec lucidité. Une campagne locale de terrain met en mouvement plusieurs centaines de courageux militants et sympathisants, pour essayer de toucher plusieurs millions de personnes, autant dire un défi impossible à relever sans une ambiance nationale porteuse. Que dire alors quand cette même ambiance est contre nous ? J’ai participé à deux débats organisés par les télévisions locales au nom du Rassemblement. Combien ai-je eu de retours de proches, collègues, relations, qui m’auraient vus sans être prévenus spécifiquement ? Un seul. C'est dire l'attention de l'opinion pour ces élections.
Sans un fort relai national, si possible par une offre politique cohérente et unitaire que le PG a proposée aux formations d’opposition de gauche au P « S », il était logique de souffrir d’invisibilité. Dans ce contexte, la décision aggravante du PCF de faire cavalier seul dans notre région nous a immanquablement ramené au rang de petites listes, lui comme nous, et aggravé cet état de fait. Mais qui aurait pu imaginer le choc du 13 novembre ?
Oui il était difficile de faire exister le Rassemblement dans l’espace public, d’autant que c’est une coalition neuve, et qu’en temps de crise profonde les électeurs se raccrochent aux marques qu’ils identifient bien (FN, PS, PCF, etc.) « vues à la télé ». Pour les citoyens qui nous regardent à travers l’épais brouillard du quotidien, et ne perçoivent que quelques signaux quelque fois contradictoires, l’arène politique est illisible au-delà d’un tripartisme installé et entretenu par les médias. Il faudra s’en souvenir pour la suite. Justement, parmi les difficultés, il faut citer la paresse des commentateurs politiques qui réduisaient si souvent la couleur de la liste à celle de sa tête de liste, malgré les innombrables communiqués correctifs de l’équipe de campagne en direction des médias locaux. Tout ceci pour relativiser les vains commentaires de ceux qui, après coup, avaient tout prévu…
Enfin, pour achever de perdre l’électeur de gauche, il ne vous a pas échappé qu’une liste usurpait le logo Front de gauche, bien que le PG n’en était pas membre, et bien qu’elle n’en porte ni la lettre ni l’esprit. La preuve en est le communiqué d’après premier tour où ne figure pas une fois la référence au Front de gauche mais au seul « Parti communiste français ». Exeunt les bagages accompagnés ! Et dire que certains auraient voulu nous entraîner dans une liste où l’insincérité le disputait à la vacuité des idées… Il faut dissiper cette illusion. Une liste du Rassemblement + PCF n’aurait probablement pas atteint les 10%, sauf à ne pas faire campagne du tout. Car dès que nous aurions essayé de parler, les contradictions fondamentales auraient éclaté entre ceux qui ont des choses à dire sur la région et ceux qui, décidemment, ne savent pas quoi en faire et ne voulaient pas parler de programme. Quelle bonne surprise de trouver dans le programme de l'Humain d'abord, publié des semaines après le nôtre, une sympathique coloration écologique que je n'avais pas perçue durant le précédent mandat chez les collègues communistes… coloration qui n'allait malheureusement pas jusqu'aux mêmes conclusions sur les grands travaux inutiles et imposés (Canal Seine-Nord, Réseau express Grand Lille). Il ne suffit pas de mettre le mot "écologique" à chaque chapitre pour acquérir une crédibilité en la matière. Eh oui, pour faire alliance, il faut pouvoir porter des idées communes, ce qui n'était pas évident pour une élection régionale. D’autres échéances et terrains y seront peut-être plus propices, qui vivra verra. Après tout, prenons les bonnes nouvelles d'où elles viennent : le PCF régional a tellement investi sur le Front de gauche et tellement avancé sur l'écologie (en gardant sa crédibilité sur le social) que pour les prochaines élections cela facilitera bien les rapprochements sur le fond, j'en suis persuadé et j'ai hâte d'y être ! Plus sérieusement, cette situation a eu des conséquences : de nombreux témoignages d’électeurs nous sont parvenus qui ont voté pour la liste du PCF au lieu de la nôtre, trompés par le logo Front de gauche affiché en énorme sur son bulletin de vote. Ce phénomène ne peut être quantifié mais il est suffisamment important pour avoir été rapporté de façon insistante après le 6 décembre, de tous les coins de la région.
J’ai la conviction que nous avons fait ce qui pouvait être fait en l’état des possibles. Je n’ai qu’un regret, déjà mentionné, qu’un cadre national n’ait pu nous donner plus de visibilité et un élan dont nous avons cruellement manqué en dépit de l’exemplarité et de l’enthousiasme de notre démarche. Quelle liste a réellement fait un alliage de 4 organisations politiques aux histoires différentes et de citoyens engagés ? Quelle liste a tenté 10 forums participatifs locaux pour constituer l’essentiel de son programme ? Quelle liste était exemplaire quant au non-cumul des mandats en nombre et dans le temps, rassemblée autour d’une charte éthique ? Quelle liste proposait un vrai projet de développement local crédible, à la fois social et écologique, chiffré et conforme à l’intérêt général, hors de tout esprit de compétition, proprement révolutionnaire pour la région ? Quelle liste a refusé la démagogie de parler de sécurité, et d’affabuler sur l’économie et l’emploi pour rester sur les vraies compétences régionales ? Quelle liste a dénoncé l’austérité imbécile des politiques budgétaires, en y répondant par des propositions sociales et écologiques réalistes ? Nous devons être fiers de ce bilan qui a déjà demandé bien du travail. Tout cela nous donne du carburant pour la suite des événements, locaux comme nationaux.
Jusqu’à la lie nous avons dû boire le calice de la défaite. Pour ma part, j’ai utilisé le bulletin Xavier Bertrand au second tour car c’était le seul utile pour battre la Le Pen. Je préfère un mec de droite aux idées fausses à une facho trop intelligente à la tête de la région. Par égard pour les salariés du conseil régional, je ne pouvais pas contribuer à la catastrophe qu’aurait été une majorité FN. Le FN n’est pas apparu fin 2015, il progresse résolument depuis les municipales de mars 2014 et à chaque nouveau coup de boutoir, les partis de gouvernement promettent une réponse adaptée. On a vu. Après avoir paré au plus pressé, après le lâche soulagement du 13 décembre qui n’est jamais qu’une victoire à la Pyrrhus, il nous faut prendre au sérieux l’étude du phénomène politique FN, son succès et son ancrage, qui est l’autre face de l’abstention. Toute reconstruction politique passe par ce préalable : comprendre pour agir, pour cesser de tâtonner.