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L’affaire Kerviel est politique
Mon camarade François Guiffard, du PG du Douaisis, m'a proposé la contribution qui suit sur l'affaire Kerviel, que j'accueille bien volontiers sur mon blog car elle permet de revenir sur le fond de cette affaire. Si Jérôme Kerviel a été condamné par la justice française, il faut comprendre comment on en est arrivé là. L'acteur central de ce scandale n'est bien sûr pas sans responsabilité, mais le rôle que le système financier tente de lui faire endosser est démesuré, comme s'il en était une déviance alors qu'il en est un produit direct. À gauche, nous nous intéressons à toutes les délinquances, que ce soit celle du voleur de portable ou que ce soit celle du trader trainé en justice, pas seulement du point de vue moral mais aussi social et économique. En ce sens, l'affaire Kerviel vaut plus que celui qui l'incarne, elle prend rang de symbole.
L’affaire Kerviel arrive t-elle à son terme ? Après avoir marché de Rome jusqu’à la frontière française, l’ancien trader a été interpellé dimanche 18 mai à Menton. Bien que non exempt de responsabilité, Kerviel apparaît comme le bouc émissaire idéal pour le monde de la finance.
24 octobre 2012, la Cour d’appel de Paris, confirmant le jugement de premier instance, condamne Jérôme Kerviel à une peine de 5 ans de prison dont 2 assortis de sursis. La juridiction le condamne par ailleurs à rembourser en totalité le préjudice subi par la Société générale, partie civile, qui s’élève à un peu plus de 4,9 milliards d’euros. Montant record. C'est une première dans l'Histoire de la justice française : un citoyen sera condamné à rembourser une dette… qu'il ne pourra jamais rembourser ! C’est plus qu’une peine à perpétuité. Dès cette annonce, de nombreuses personnalités (dont Jean Luc Mélenchon et Eva Joly) sont venus soutenir sa cause, non seulement au vu de la sentence exceptionnelle qui lui a été réservée, mais au vu également des faits qui lui ont été reprochés.
Ce fils d'une coiffeuse, brillant étudiant, est considéré durant des années par son employeur comme un prodige de la finance. La Société Générale le pousse alors chaque année à atteindre des objectifs de plus en plus risqués. Et en 2007, Kerviel réussit "l'exploit" de lui rapporter 1,5 milliard d’euros. Impossible de remporter cette somme sans miser gros. Impossible aussi qu’une telle banque ne soit pas au courant de ses agissements. Elle le félicite d'abord, mais cette même année marque un tournant. La crise financière s’amorce, et 2008 elle éclate pour de bon. La banque en grande difficulté annonce une perte de 4,9 milliards d'euros. Pour l'institution bancaire, c'est son trader de haute voltige qui en est la cause. Il aurait à son insu joué trop gros.
Pour brouiller les cartes, la Société Générale mêle par un jeu d’écriture comptable les pertes liées à la crise des subprimes aux transactions de Kerviel. Mieux, le Ministère de l’Economie décide de lui donner un coup de pouce via un mécanisme qui permet à une banque de récupérer une partie de ses pertes (33%) si elles résultent d’une action frauduleuse. Oui mais voilà, encore faut-il prouver la fraude. Or, sans même attendre le jugement (la Société Générale avait déjà porté plainte contre Kerviel), Christine Lagarde, alors à Bercy, décide de "rembourser" à la Société Générale 1,7 milliard d’euros. Un milliard sept-cent millions d'euros sortis tout droit de la poche des contribuables ! De fait, il est facile de comprendre que dans cette affaire, Jérôme Kerviel est le bouc émissaire idéal. Il n'a été qu'un pion dans un système financier dominant et violent, déshumanisé et déconnecté de l'économie réelle. Il fallait désigner un fraudeur pour que la responsabilité de la banque passe au second plan, la condamnation de Kerviel était donc indispensable.
A l'époque François Hollande s'était indigné de la situation. Il avait même déclaré à la télévision : « Comment admettre que lorsqu’une banque fait erreur, ce soit le contribuable qui paye ? ». Aujourd'hui Président, c'est à lui que Jérôme Kerviel s'adresse pour lui demander d'intervenir. Celui qui avait pour ennemi la finance va-t-il laisser un homme seul porter une responsabilité à l'évident trop grande pour lui ? Y a-t-il une volonté réelle de reprendre en main le système financier ? On peut en douter en faisant le bilan des deux premières années du quinquennat.
Kerviel n’est donc pas une icône ni un modèle, mais bien une victime à défendre.
François Guiffard