Archives par mot-clé : réforme territoriale

Fusion Nord-Pas-de-Calais et Picardie : le poker territorial

Le 23 juillet, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la nouvelle carte des régions de France. Surprise ! Notre région Nord-Pas-de-Calais se retrouve unie de force avec sa voisine la Picardie, alors que cette hypothèse ne figurait pas dans le projet gouvernemental. Pour faire le tour de la question, je m’exprimerai en deux billets complémentaires : le premier reconstitue la généalogie de cette décision parlementaire, et le second reprendra les arguments avancés pour justifier cette fusion de région, ses conséquences pratiques. Ce sera aussi l’occasion de méditer sur le rôle d’un élu régional.

carte 13 regions

Le processus parlementaire débute au Sénat puisqu’il s’agit d’une réforme territoriale. À ce stade, le projet de loi déposé par le gouvernement propose le rapprochement entre la Picardie et la Champagne-Ardenne, le Nord-Pas-de-Calais restant seul. Michel Delebarre, sénateur PS du Nord, a été nommé rapporteur du Projet de loi relatif à la «  Délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral ». La Commission spéciale réunie le 26 juin pour débattre du texte et de ses amendements en adopte un, à l’initiative de Philippe Adnot (Divers droite – Aube) sur le rattachement des régions Picardie et NPdC. Mais la même Commission refuse d’adopter le texte amendé issu de ses délibérations, avec pour effet que c’est le projet de loi déposé par le gouvernement qui sera débattu en séance plénière les 3 et 4 juillet : retour à la case départ.

Le 3 juillet, Michel Delebarre expose les travaux de la Commission spéciale en tant que rapporteur, cite rapidement l’amendement de fusion NPdC-Picardie pour indiquer : « il s’agit (…) d’une piste examinée par la commission. Ce n’est pas mon avis ». Lors de cette séance plénière, l’idée de la fusion est ressortie, défendue notamment par Jean-Louis Masson (Divers droite – Moselle). Michel Delebarre sera pris à partie par plusieurs sénateurs comme Jacques Mézard (RDSE – Cantal), puis Jean-Jacques Hyest (UMP – Seine-et-Marne) sur les raisons politiques de l’isolement de la région NPdC. Du coup, un amendement sur la fusion Picardie-NPdC est adopté en séance plénière. Mais le Sénat refusant majoritairement de voter l’article 1er de la Loi de « Délimitation des régions et modification du calendrier électoral » (celui précisément qui fixe les nouvelles frontières régionales), à nouveau c’est le texte du gouvernement qui seul fait foi. L’alerte n’a semble-t-il pas été entendue par les élus PS du NPdC car le match reprend à l’Assemblée nationale, pour la suite de la navette parlementaire.

À l’Assemblée nationale, dès le débat en Commission des Lois le 9 juillet, certains parlementaires expriment soit leur soutien à une fusion entre NPdC et Picardie (Jean-Louis Bricout (PS-Aisne), Pascale Boistard (PS-Somme), Jean-Luc Warsmann (UMP-Ardennes), Daniel Fasquelle (UMP-Pas-de-Calais)), soit leur refus ou leur scepticisme quant à la fusion Picardie-Champagne-Ardenne (Marc Le Fur (UMP), François de Rugy (EELV), Jean-Luc Warsmann (UMP), Pascale Boistard (PS)). À ce niveau, pas une seule expression des parlementaires du PS du NPdC. D’une part, parce qu’aucun PS du NPdC, à l’exception de Bernard Roman (« excusé »), ne siège dans cette commission, et d’autre part car aucun des intéressés potentiels n’est venu se joindre aux travaux de ladite commission comme ils en ont le droit. Donc personne n’y défend l’autonomie politique du NPdC, alors que des Picards font valoir leur point de vue.

Le 15 juillet en Commission, l’idée de fusion revient en force, au point de susciter le communiqué de presse de Martine Aubry et de parlementaires PS du NPdC. Je reviendrai ultérieurement sur le fond argumentaire du communiqué.

Lors des débats en séance publique les 16 et 17 juillet, Jean-Pierre Decool (Nord, app. UMP) évoque la question en hémicycle, fustigeant les arguments du communiqué de presse de Martine Aubry. Idem pour Daniel Fasquelle (UMP-Pas-de-Calais) et Gérald Darmanin (UMP – Nord) lors de la 2ème séance du 17 juillet qui appuient publiquement la fusion NPdC-Picardie.

Puis lors de la troisième séance du 17 juillet, tout se concrétise par un amendement de la Commission des Lois (n° 487), défendu par le rapporteur M. Da Silva, qui propose de modifier la carte des régions et accole le NPdC et la Picardie. D’où vient cet amendement ? Le rapporteur explique la méthode :

« J’ai auditionné, durant une trentaine d’heures, près d’une centaine de conseillers régionaux[1], pour savoir ce qu’ils pensaient de la réforme et de la carte adoptée en Conseil des ministres (…).Naturellement, le travail des commissaires, qu’ils soient dans la majorité ou dans l’opposition, s’est poursuivi. Une analyse fine des amendements examinés, même s’ils ont été repoussés, a fait apparaître un certain nombre de convergences. Par ailleurs, le rapporteur pour avis comme les responsables du groupe qui est le mien ont eu aussi consulté très largement

À l’issue de ces consultations, de l’analyse des amendements, mais aussi de prises de contact avec un certain nombre de collègues qui avaient fait montre d’une présence assidue lors des auditions et qui avaient assisté aux travaux de la commission des lois alors qu’ils n’en étaient pas membres, pour faire valoir certaines positions, il est apparu que de nouveaux rassemblements amélioreraient considérablement la carte, en plus de celui de l’Aquitaine et du Limousin. Mes collègues auront l’occasion de s’exprimer clairement sur ces points (…).

Il y a un autre rassemblement qui, sans paraître évident (sic), s’est dessiné au stade de la réflexion dans la semaine qui a suivi la réunion de la commission : celui du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie. Je sais qu’il y a là aussi des débats et je ne doute pas qu’ils se poursuivent ce soir dans notre hémicycle, mais des convergences semblaient exister. Un certain nombre de collègues auront l’occasion de le confirmer ; je crois d’ailleurs que ce ne sont pas seulement des collègues de la majorité. Ce rassemblement, j’ai bien entendu M. Fasquelle (UMP) le dire, agrée à un certain nombre de nos collègues. »

L’équipe Aubry tente une malheureuse contre-offensive avec un sous-amendement défendu par Jean-Pierre Allossery (PS-Nord) qui s’achève en naufrage tant son angle d’attaque est misérabiliste. Le 18 juillet, Martine Aubry tient une conférence de presse lors de laquelle elle critique ouvertement le gouvernement, lâchant le fameux et dévastateur « il n’est pas trop tard pour réussir le quinquennat, il n'est pas trop tard pour réussir la réforme de la décentralisation et cette réforme sur les régions ».

Allons à la conclusion. Le 23 juillet, l’AN adopte une nouvelle carte qui unit le NPdC et la Picardie. Ce vote parlementaire résulte de plusieurs causes :

  1. L’absurdité du projet de fusion entre Picardie et Champagne-Ardenne, dénoncée par tous (les deux régions ont fait savoir leur opposition en commun). L’alliage étant fragile, il a éclaté au premier choc.
  2. La volonté forcenée de l’Elysée de réduire le nombre de régions. Si la fusion Picardie-Champagne-Ardenne ne se fait pas, alors il faut trouver une combinaison de substitution.
  3. Or, des Picards se sont mobilisés à l’Assemblée nationale. Ils proposent une solution, la fusion avec le NPdC, argumentent, et profitent du vide laissé par les élus (PS) du NPdC. Des élus de droite en profitent pour politiser explicitement la question en contrant Martine Aubry.
  4. Ce vide est encore aggravé par l’isolement politique de Martine Aubry au sein du PS, et de celui de Daniel Percheron en fin de mandat. Dans ces conditions, l’accès à l’arbitre suprême qu’est le Président de la République semble hors de portée.

C’est la démocratie dira-t-on ? Pourtant, à ce jour, personne n’a développé un argumentaire construit qui explique le rapprochement des deux régions. Vous me lisez bien : cette mesure si importante pour notre avenir local n’a été éclairée d’aucune étude prospective, ni discutée à aucun niveau territorial. J’y reviendrai. Comme je l’avais déjà écrit ici, c’est le fait du Prince qu’a entériné l’AN (c’est-à-dire réduire le nombre de régions), avec une abstention énorme, tantôt boudeuse pour les élus PS pris au piège du système des godillots, tantôt complice de dizaines d’élus de droite qui ont trouvé leur bonheur dans ce redécoupage insensé[2].

Le détail du vote par groupe puis nominal montre que les « pour » sont moins nombreux que les « contre » et abstentionnistes (261 OUI contre 205 NON et 85 abstentions), le texte est donc majoritaire par contrebande et non grâce à un vote franc en sa faveur. Voilà comment le projet de redécoupage des régions a été adopté le 23 juillet, par une addition d’arrangements locaux recherchés par le gouvernement, quelque fois contre l’avis des élus de son propre camp.

Je reviendrai dans un prochain billet sur les arguments entendus à l’Assemblée nationale et sur les conséquences pratiques de cette fusion si elle survit aux prochaines lectures parlementaires. Ce sera un indicateur du rapport de forces interne à la majorité dont je parlais plus haut.

 


[1] La délégation du Nord-Pas-de-Calais était composée seulement de trois membres :

Mme Myriam Cau, vice-présidente du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, membre du groupe Europe Écologie – Les Verts ; M. Michel François Delannoy, président du groupe socialiste, citoyen, radical et apparentés au conseil régional du Nord-Pas-de-Calais ; M. Philippe Eymery, vice-président du groupe Front national au conseil régional du Nord-Pas-de-Calais.

En revanche, les délégations de Picardie et de Champagne-Ardenne représentaient huit membres, dont le président du conseil régional de Picardie Claude Gewerc, ainsi que  M. Didier Cardon, vice-président du conseil régional de Picardie, membre du groupe socialiste, républicain et citoyen ; M. Christophe Porquier, vice-président du conseil régional de Picardie, membre du groupe Europe Écologie ; M. Christophe Coulon, président du groupe Envie De Picardie au conseil régional de Picardie ; M. Michel Guiniot, président du groupe Front national au conseil régional de Picardie ; M. Jacques Meyer, premier vice-président du conseil régional de Champagne-Ardenne, membre du groupe Socialiste ; M. Olivier Girardin, président du groupe Socialiste au conseil régional de Champagne-Ardenne ; M. Jean-Luc Warsmann, député, président du groupe UMP-UDI-DVD au conseil régional de Champagne-Ardenne.

Autant dire que Picardie et Champagne-Ardenne étaient venues en force, pas le NPdC.

 

[2] À ce titre, citons le ravi Xavier Bertrand (UMP, Saint-Quentin) qui s’est abstenu sur ce texte au motif que par exemple les élus alsaciens étaient grandement mécontents de leur union forcée avec la Lorraine, mais sa logique amène à entériner celle entre NPdC et Picardie… Voici son explication, à avaler lentement : « Je pense que cela va dans le sens de l'avenir et je le prends pour un nouveau départ pour deux régions, le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie, qui ont terriblement souffert, qui connaissent des taux de chômage sans pareil. On a peut-être l'occasion de se retrouver, de se rassembler et enfin de tourner le dos au déclin ». Vous avez compris ? Pas la moindre idée chez M. Bertrand de ce que cette fusion peut coûter comme effort, ni en quoi elle pourrait répondre à l’intérêt des territoires concernés, pas le moindre élément programmatique. Et comment le pourrait-il ? Je le répète, aucune étude d’aucune sorte n’a été réalisée en vue de cette fusion de régions. M. Bertrand soigne son profil de modéré ouvert, se voyant sans doute déjà potentiel président de ce nouvel ensemble qui n’a pas de nom.