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Le Nord-Pas-de-Calais hors TAFTA

Le 5 juin toujours, le conseil régional a débattu du Grand marché transatlantique, sujet dont j'ai déjà parlé ici. Trois groupes de gauche (La Gauche sociale et écologiste, EELV et Front de gauche-communistes et unitaires) ont déposé chacun un voeu demandant l'arrêt des négociations sur le GMT (ou TAFTA en anglais). Nous avons donc fusionné nos textes en un seul (Voeu Commun EELV GSE FGCU) qui a été soumis à l'avis des élus. Voici ma défense du texte.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les conseillers régionaux,

Après avoir publié une tribune dans le journal de région en avril dernier, notre jeune groupe a déposé une motion sur le thème du refus du Grand marché transatlantique. Nous nous réjouissons de la convergence de notre démarche avec celle des groupes Front de gauche et Europe-Ecologie-Les Verts qui aboutit au texte qui vous est soumis.

La démarche choisie pour la négociation de ce traité visant à un grand marché transatlantique est insupportable. Le mandat secret donné à la Commission européenne, largement diffusé depuis mais pas par elle !, n’a jamais été discuté dans les enceintes démocratiques parlementaires. Or, ce mandat est porteur de lourdes menaces pour nos valeurs démocratiques.

Depuis 1789 et l’avènement des Lumières dans la vie politique européenne, c’est au nom du Peuple souverain que les lois sont établies. Or, le mandat de négociation donné à la Commission européenne mentionne dans trois articles sur un total de 46 des mécanismes dits de « règlement des différends » qui concerneront notamment les relations entre les Etats et les entreprises, en réalité les plus riches d’entre elles. Du point de vue de nombreux juristes, ces mécanismes d’arbitrage privé donnent aux firmes un pouvoir d’intervention dans le champ du droit international, ce qui revient à le privatiser. Ces mécanismes d’arbitrage sont opaques, sans publicité des débats ni susceptible d’appel, ne mobilisent pas des juges mais des personnes privées, et rendent des jugements suivant les notions subjectives et dangereuses contenues dans le mandat de la Commission, à savoir les « normes minimales de traitement », ou les « obstacles inutiles à la concurrence », « mesures déraisonnables », etc. Les procédures d’arbitrages qui existent déjà en Amérique du Nord ou dans le cadre de l’OMC vont toujours dans le même sens : la victoire des intérêts particuliers face aux États, sous couvert du droit à faire du profit.

Comme le dit Raoul-Marc Jennar, juriste spécialiste des institutions européennes, dans ces mécanismes, « toute valeur qui n’appartient pas à l’économie est niée, et la norme n’est plus le résultat de la délibération démocratique née de la souveraineté populaire, mais l’expression de la volonté des entreprises privées ».

Toutes nos critiques résultent de cette prise de pouvoir par le privé sur le public. C’est ce qui nous fait craindre l’imposition de normes ultralibérales en Europe, en matière d’alimentation notamment, contre l’intérêt des citoyens, salariés et consommateurs. Aux Etats-Unis même où de solides législations protectrices du marché intérieur (telle que le « Buy American Act ») sont menacées, des mobilisations importantes ont lieu qui vont dans le même sens que le nôtre, à savoir l’abandon des négociations.

D’une rive à l’autre de l’Atlantique, les collectifs citoyens, syndicaux et associatifs qui ont étudié le sujet envoient le même signal : nous ne voulons pas que la loi soit dictée par des firmes psychopathes, c’est-à-dire des entités juridiques uniquement motivées par le profit, insensibles à la souffrance infligée à leur environnement et à la société. Rappelons-nous des catastrophes dans le transport pétrolier, ou plus récemment celle du Rana Plaza au Bangladesh. Les exemples de l’irresponsabilité et de l’amoralité des firmes internationales ne manquent pas.

C’est bien de l’abandon des négociations qu’il s’agit, pas d’une simple mise sous surveillance. Le mot « vigilance » qui avait été avancé par des collègues n’est pas suffisant avec les dangers potentiels du traité. Être vigilants, c’est entretenir l’illusion que quelque chose de bon peut ressortir de cette négociation. Or parti sur de telles bases, un accord final ne pourrait nous engager qu’à des concessions insupportables du point de vue de la souveraineté nationale et européenne, en échange d’un surcroît de mise en concurrence. Dans ces conditions, nous refusons toute négociation.

A l'issu du débat, notre texte commun a été adopté en faisant le plein de voix des groupes qui le soutenaient (32) et a reçu le renfort d'une dizaine d'élus PS et apparentés qui ont rompu la discipline de vote (leur président de groupe prônait l'abstention). Le vote "pour" du FN n'a eu aucun effet, nous ne lui devons rien dans l'adoption du voeu.

POUR : 56 voix
CONTRE : 18 voix
ABSTENTION : 20 voix
NPPAV : 3 voix

(Sur 113 élus, 16 n'étaient ni présents ni représentés)